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1.1 Gravure

L'art de la typographie musicale se nomme la gravure. Ce terme est issu du processus traditionnel d'impression musicale. Il y a seulement quelques dizaines d'années, on faisait les partitions en coupant et en embossant une plaque de zinc ou d'étain en image miroir. Cette plaque était ensuite encrée, les dépressions créées par les creux et les bosses retenant l'encre. Une image était formée en pressant du papier sur la plaque. La découpe et l'embossage étaient entièrement faits à la main. Il était pénible d'appliquer une correction, quand celle-ci n'était pas impossible, la gravure devait donc être parfaite du premier coup. La gravure demandait une qualification hautement spécialisée : un artisan devait accomplir environ cinq ans de formation avant de mériter le titre de maître graveur, et il lui fallait cinq années d'expérience supplémentaires pour devenir vraiment habile.

De nos jours, toutes les partitions récentes sont produites avec des ordinateurs. Ceci a des avantages évidents : le coût des impressions a diminué, et le travail d'éditeur peut être envoyé par courriel. Malheureusement, l'utilisation dominante des ordinateurs a également diminué la qualité graphique des partitions. L'impression informatisée leur donne un aspect fade et mécanique qui les rend désagréables à jouer.

Les images ci-dessous illustrent la différence entre la gravure traditionelle et l'impression typique par ordinateur, et la troisème image montre comment LilyPond mime l'aspect traditionnel. L'image de gauche est une numérisation d'un symbole bémol d'une édition publiée en 2000. Celle du centre montre un bémol d'une gravure à la main de l'édition Bärenreiter de la même musique. L'image de gauche illustre des défauts typiques de l'impression informatique : les lignes de portée sont minces, l'épaisseur de trait du bémol est la même que les lignes fines, et il y a un aspect rigide avec des angles pointus. Par contraste, le bémol Bärenreiter possède un aspect gras et arrondi, presque voluptueux. Notre symbole bémol est créé, entre autres, à partir de celui-là. Il est arrondi, et son épaisseur de trait s'harmonise avec nos lignes de portée, lesquelles sont également plus épaisses que celles de l'édition informatique.


Henle (2000) Bärenreiter (1950) Fonte Feta de LilyPond (2003)

En matière d'espacement, la répartition de l'espace devrait refléter les durées entre les notes. Cependant, beaucoup de partitions modernes se contentent des durées avec une précision mathématique, ce qui mène à de mauvais résultats. Dans l'exemple suivant, un motif est imprimé deux fois : une fois en utilisant un espacement mathématique exact, et une autre fois avec des corrections. Pouvez-vous les repérer ?

[image of music]

[image of music]

L'extrait n'utilise que des notes de même durée ; l'espacement devrait le refléter. Malheureusement, notre oeil nous trompe quelque peu ; il ne se contente pas de remarquer la distance entre les têtes de notes, il prend en compte également la distance entre les hampes consécutives. Ainsi, par compensation, les notes avec une combinaison « hampe vers le haut »/« hampe vers le bas » doivent être éloignées l'une de l'autre, et les notes avec une combinaison « hampe vers le bas »/« hampe vers le haut » rapprochées, le tout dépendant de la position verticale des notes. Les deux premières mesures sont imprimées avec cette correction, les deux suivantes sans. Les notes dans les deux dernières mesures forment des blocs de notes « hampe vers le bas »/« hampe vers le haut ».

Les musiciens sont généralement plus absorbés par l'exécution que par l'étude de l'aspect graphique d'une partition, donc discutailler sur les détails typographiques peut paraître peu important. Il n'en est rien. Dans de longues pièces avec des rythmes monotones, les corrections d'espacement engendrent de subtiles variations dans la mise en forme de chaque ligne, donnant à chacune une signature visuelle distincte. Sans cette signature, toutes les lignes auraient le même aspect, et ressembleraient à un labyrinthe. Si un musicien regarde ailleurs un instant ou se déconcentre momentanement, il peut avoir du mal à se retrouver sur la page.

De même, l'aspect robuste des symboles sur d'épaisses lignes de portées ressort mieux quand la partition est éloignée du lecteur, comme sur un pupitre par exemple. Une organisation minutieuse des espaces vides permet de minimiser l'espace qu'occupe la musique, tout en évitant que les symboles s'amassent les uns contre les autres. le résultat permet de réduire le nombre de pages à tourner, ce qui est un grand avantage.

Ceci est une caractéristique commune à toute typographie. La disposition doit être belle, non seulement pour des raisons esthétiques, mais également pour l'aide apportée au lecteur dans la tâche qu'il doit accomplir. Pour du matériel d'exécution comme les partitions de musique, cela prend une double importance : les musiciens ont une quantité limitée d'attention. Moins ils en ont besoin pour lire, plus ils peuvent se concentrer sur la musique elle-même. Autrement dit, une meilleure typographie permet une meilleure interprétation.

Ces exemples démontrent que la typographie musicale est un art subtil et complexe, et que la produire demande une expertise considérable, que les musiciens n'ont généralement pas. LilyPond représente notre effort pour apporter l'excellence graphique de la gravure à la main à l'ère de l'ordinateur, et la rendre accessible à tous les musiciens. Nous avons conçu nos algorithmes, fontes et paramètres de programme pour retrouver la qualité d'édition des anciennes partitions que nous aimons tant lire et jouer.


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